Il y a cinq ans, la problématique de la kasbah de Tizourgane avait déjà suscité l’intérêt de la rédaction et fait l’objet d’un article mettant en avant l’initiative des architectes El Kendi, Zerhouani et Ouazzi, soucieux de conserver la kasbah. Leur ambition était d'aider Jamal Moussali, actuel propriétaire de la maison d'hôtes, pour donner un nouvel essor au site, en proposant un projet touristique rural. Petit tour d’horizon de la situation actuelle…
Tout a commencé il y a huit siècles, à l’époque où Tizourgane était connue pour être une forteresse qui, au long de son existence, n’a jamais accepté de se soumettre aux agressions extérieures. Enfermés dans leur kasbah, les paysans avaient organisé leur vie quotidienne autour d’Agadir afin de résister le plus longtemps possible aux guerres civiles que subissait la région à l’époque.
Malheureusement, l’exode rural et le vieillissement de la population ont fini par pousser les propriétaires à quitter petit à petit leur demeure pour s’installer dans les villes voisines. Jamal Moussali fait partie des cinq familles qui vivent encore là-bas. Depuis son retour au bercail, 15 ans auparavant, il n’a plus jamais quitté cet endroit. C’est sans hésitation qu’il a abandonné son travail d’hôtelier à Casablanca pour entamer les premiers travaux avec foi et détermination. À son arrivée, la kasbah était quasiment en ruine, aucun accès ne menait au sommet. Quotidiennement, il se rendait sur place pour commencer, avec le peu d’économie qu’il avait (10 000 DH seulement), à restaurer le parking et le chemin d’accès. Ses va-et-vient de plus en plus fréquents ont commencé à susciter l’intérêt du voisinage. Avec leur appui, il a donc décidé de monter une association locale. Ce n’est qu’après 8 ans de patience que leurs efforts ont été récompensés. Suite à une visite ministérielle en 2000 dans la région de la province d’Aït Baha, toutes les associations locales ont été invitées à présenter leur projet. L’association a alors proposé un aménagement des infrastructures de base qui leur faciliterait ensuite l’exécution des travaux de la kasbah.
Par la suite, un dossier a été élaboré par des architectes de l’administration d’Ouarzazate et des architectes privés d’Agadir. Une étude architecturale a été menée par le groupe d’architectes pour inscrire le projet dans une stratégie de développement intégré, basée sur la revalorisation urbaine et architecturale du bâti. Cette réflexion se fondait, dans un premier temps, sur un volet diagnostique prenant en compte tous les acteurs socioéconomiques, puis sur un volet de stratégie de sauvegarde proposant différentes actions d’intervention pour sensibiliser les acteurs concernés et tenter de mener à bien ce projet afin qu’il puisse perdurer et évoluer dans le temps. Ils ont également proposé trois scénarii de développement : le premier étant la création d’un complexe hôtelier, le 2e basé sur un concept d’auto-développement par et pour les gens de la localité qui consiste à la transformation du site en maisons d’hôtes, centre d’accueil, centre commercial d’artisanat, restaurants et musée des arts traditionnels.
Tout semblait partir d’une bonne attention, mais malheureusement le projet est resté sans suite jusqu’à aujourd’hui. Jamal en vient même à se demander si le dossier a bien été déposé aux autorités compétentes. Seuls les travaux lancés en 2005 par l’ancien ministre de la Culture, Mohamed Achaâri, qui avait, à l’époque de sa visite, jugé la kasbah comme un site exceptionnel, ont été réalisés. 120 000 euros ont alors été alloués à la rénovation des parties communes (les remparts, le chemin de ronde, la mosquée et les tours), 137 000 autres pour installer le réseau électrique jusqu’aux villages alentour. Malheureusement, selon le gardien de la forteresse, seulement 30 % du budget a été investi dans le projet. De plus, les travaux ont été confiés à une société d’Agadir qui visiblement n’était pas compétente dans le domaine de restauration à l’identique. Le mur des remparts s’est écroulé 6 mois après, les travaux ont fini par durer 15 mois pour constater déjà des fissures et des dégradations importantes un peu partout sur les murs. Depuis, Jamal a décidé de ne compter que sur lui-même. Sa détermination est de faire de la kasbah un exemple et une réussite d’initiative privée. Aujourd’hui, le chemin de chèvres qui mène à la kasbah est devenu une sente magnifique, ornée de pierres blanches et d’ardoise. Elle a retrouvé son enceinte, sa porte monumentale et son chemin de ronde desservant les ruelles menant aux habitations. Grâce à Jamal et à la bienveillance des membres de l’association pour la richesse de son patrimoine architectural, la forteresse retrouve petit à petit son lustre d’antan et fonctionne aujourd’hui avec sept citernes d’eau, une station d’épuration des eaux usées et toutes les maisons bénéficient d’un raccordement électrique sous terre. Même si Jamal n’a pas attendu que le projet touristique voie le jour pour réaliser ces aménagements, la kasbah nécessite encore beaucoup d’efforts et ne peut être gérée par une seule personne. Il faut des fonds supplémentaires pour continuer les travaux et les démarches administratives, pour avoir les accords de la collectivité, dispersée aux quatre vents, demande beaucoup trop de temps à gérer sans appui extérieur. De plus, selon lui, les propriétaires ne verraient pas d’un très bon oeil qu’il soit le seul initiateur d’un tel projet car, malgré leur absence de longue date, ils gardent encore un sentiment de propriété précis et exclusif sur leur patrimoine.
Les questions qui se posent aujourd’hui sont de savoir où sont passées les bonnes intentions des architectes porteurs du projet ? Qu’en est-il des implications annoncées par l’ancien ministre de la Culture, concernant la conservation du patrimoine de la région ? Quelles sont les conclusions de la journée d’étude pour le développement touristique de la région Chtouka-Aït Baha. « Visiblement, le bât blesse toujours lorsqu’il faut passer à l’action », affirme Jamal. Il confirme également que « si l’on veut redynamiser la région, connue pour ses magnifiques greniers et kasbahs désertées par l’exode rural, il faut impérativement lancer un appel aux autorités compétentes pour apporter un nouveau souffle à la région en lui donnant les moyens de développer un tourisme rural vecteur de développement. Encore faut-il qu’ils tiennent leurs promesses…».
Conscient que ce genre d’espace rénové sera sûrement demain la victoire du tourisme rural, Jamal ne désire pas attendre la bonne volonté des autorités politiques. Il lance aujourd’hui un appel aux personnes compétentes qui seront assez sensibles et courageuses pour l’aider à réaliser son rêve. Ne serait-ce pas là une bonne occasion de présenter ce projet lors des prochains Holcim Awards 2008 ? Amis de la construction, le défi est lancé…